Après deux années marquées par la crise du COVID et des augmentations de prix papier fulgurantes, la situation semblait se diriger vers une accalmie. Entre la sortie des mesures de confinement et l’adaptation des producteurs de papier à la nouvelle demande, les prix semblaient lentement se stabiliser… Ce jusqu’à l’annonce de la guerre en Ukraine, qui vient une nouvelle fois chambouler la situation économique en Europe et dans le monde.
En quoi cette nouvelle crise a-t-elle impacté le marché européen? Quel impact sur les prix papiers pour 2022 et plus globalement sur le futur de la filière graphique?
Le cours de la pâte à papier
Nous avions déjà constaté une augmentation substantielle des prix du cours de la pâte à papier lors de nos précédents articles à ce sujet. Cependant, nous tablions également sur une baisse, suivie d’une stabilisation, autour de 1100$ pour le NBSK. Force est de constater que nos prévisions ont été rattrapées par le contexte géopolitique. En effet, si un commencement de baisse a eu lieu, une vive remontée s’est faite ressentir au moment de l’invasion russe en Ukraine.
Les chiffres de l’INSEE sont également stupéfiants et les graphiques montrent très clairement la hausse des indices des prix pour les marchés mondiaux et français.
Si on s’attarde sur l’indice des prix internationaux de la pâte à papier (cf, graphique 1), on remarque une progression fulgurante de +64 points entre novembre 2021 et mars 2022, soit 54% en 6 mois. Une augmentation similaire à celle enregistrée entre août 2020 et mars 2021 (+62 points).
Cette augmentation du coût des matières premières impacte toute une filière. Il est vrai qu’un simple zoom sur le marché français nous permet d’avoir des résultats très parlants. En effet, on s’aperçoit le graphique 2 d’une hausse continuelle des prix de production depuis janvier 2021 (+21 points d’indice).
Graphique 1
Graphique 2
On peut donc en déduire qu’à la fois à l’importation et à la production les coûts ne cessent de croître, ajoutant toujours plus de pression sur les imprimeurs et autres acteurs de la filière graphique.
Le marché du livre et des imprimés, une demande bien présente
Depuis maintenant un an, le ministère de la culture a mis en place un pass culture pour les jeunes de 18 ans afin qu’ils aient accès à des réductions dans certains domaines comme les musées, les concerts, le cinéma etc.. Une aubaine pour les imprimeurs car qui dit culture dit livre ! Nous pensions donc que ce pass permettrait aux jeunes de se détacher de leur monde digital et de renouer avec les livres.
Et bien certes ! Ouvrages littéraires, livres de cuisine, mangas… La demande est présente dans beaucoup de nos régions mais malheureusement les rayons ont du mal à être réapprovisionnés et les prix quant à eux ne baissent pas.
De plus, notre consommation de papier n’a pas diminué en 2021, car, la baisse de notre consommation plastique a fait augmenter la production de papier et de cartons respectivement de 5 et 7% chacun. Les papetiers ont pu augmenter leurs capacités de production de 7% à 7,4 millions de tonnes, effaçant ainsi le creux de production lié à la crise sanitaire en 2020 (-6,1%) et dépassant même légèrement le niveau de 2019 (+ 0,4%).
Alors, si les chiffres sont positifs, pourquoi avons-nous encore des délais d’attente aussi longs pour certains papiers ? Pourquoi le prix du papier ne baisse-t-il pas et encore pire ne fait que grimper mois après mois ? L’Union française des industries des cartons, papiers et celluloses (Copacel) dresse un bilan vertigineux entre la hausse de la production des emballages et l’inflation des coûts de production. La pandémie et l’invasion de l’Ukraine par la Russie chamboulent le milieu de l’imprimerie laissant les imprimeurs et les éditeurs dans un avenir de plus en plus incertain.
Les causes de ce revirement de situation
La demande est là, la matière première est abondante et nous recyclons toujours autant. Mais nous faisons face aujourd’hui à des usines à papier transformées en usines de cartons, une main d’œuvre absente, le prix de l’énergie en constante hausse tout comme l’essence.. Tout cela rallonge les délais d’attente et augmente les prix à chaque étape de fabrication des livres.
1- UN DEFICIT DE CHAUFFEURS UKRAINIENS
Même s’ il y a très peu d’échanges commerciaux de papiers et de cartons avec l’Ukraine et la Russie, certains éléments annexes sont également à prendre en compte dans la mesure où le conflit avance. Par exemple, le manque de chauffeurs ukrainiens accentue encore la hausse des prix autour de l’import/export.
2- Les prix de l’énergie qui s’envolent
Comme nous en parlions dans nos précédents articles, le prix de la pâte à papier a pris entre 46 et 54% en 2021. Depuis ce début d’année, la pâte à papier a reculé de 4% au niveau mondial mais les prix de l’énergie atteignent des chiffres records depuis plusieurs semaines. Nous faisons face à un décalage entre une offre limitée et une demande croissante, voila pourquoi l’augmentation des coûts de production, ont donc provoqué de nouvelles hausses de prix : de 30 et 80% entre février 2021 et février 2022. La question du coût de l’énergie, déjà un sujet en 2021, est maintenant présente dans toutes les bouches.
3- LE PRIX DE L’ESSENCE QUI ATTEINT DES SOMMETS RECORDS
Cette guerre entre ces deux pays complique fortement les échanges mondiaux. Ce pourcentage variable est remis à jour chaque mois en fonction de l’évolution des prix du fuel. Cette taxe qui normalement avoisine les 9% est passée à 30% lors du mois de mars.
La pénurie de papier causée par la pandémie est maintenant suivie par une hausse des prix de l’énergie liée à la guerre en Ukraine et aux importations de pétrole et de gaz russes. Intergraf, fédération représentant les imprimeurs européens, évoque un « chaos » qui, s’il venait à durer, mettrait en danger la production de plusieurs produits, notamment les livres. Aux augmentations de coût de production des imprimés s’ajoutent donc également des coûts de transport plus élevés.
Quel avenir pour notre secteur ?
Bien que cette situation semble se détériorer de jour en jour, certains gouvernements envisagent le blocage de leurs prix (mais à l’heure actuelle, rien ne nous garantit si et quand ces mesures seront effectives). De plus, la dépendance de l’Europe vis-à-vis des énergies Russes est malheureusement encore bien trop forte pour pouvoir prévoir une quelconque amélioration soudaine de cette situation. Mais qu’en est-il des imprimeurs, arriveront-ils un jour à sortir la tête de l’eau ?
C’est une bonne question que nous aborderons dans la seconde partie de notre article, à paraitre la semaine prochaine.