En temps de guerre, la maîtrise de l’information est primordiale pour les différentes parties prenantes. Les objectifs et cibles sont diverses et variées, que ce soit pour mobiliser les citoyens, tromper l’ennemi, motiver les troupes, forger des opinions… Cette prise de conscience n’est pas nouvelle, elle prend racine dans l’histoire lointaine. Sun Tzu écrivait que “l’art de la guerre repose sur la duperie”, et Machiavel disait quant à lieux que “gouverner, c’est faire croire”.
Néanmoins, la Première Guerre mondiale donne une toute autre ampleur à ce contrôle de l’information pour plusieurs raisons.
D’une part, la guerre affecte tous les pans et ressources de la société, aux niveaux économiques, matériels et moraux. La bataille des idées et la guerre des mots deviennent aussi importantes que celle des armes. On voit dès lors apparaître le terme de “guerre psychologique” qui vise à acquérir l’adhésion et la cohésion de la patrie tout en sapant le moral des troupes et citoyens adverses.
D’autre part, l’apparition de la presse populaire à grands tirages va jouer un grand rôle dans le façonnage de l’opinion publique. Malgré la liberté dont jouit la presse à cette époque (loi de 1881), les journaux font preuve de beaucoup de chauvinisme et de patriotisme, ce qui explique en partie le faible taux d’insoumission et de désertion du début de guerre (1,5% contre les 10% attendus par le gouvernement).
L’imprimerie : un instrument de communication au service des Etats
Cependant, les autorités prennent rapidement conscience de l’enjeu du contrôle de l’information, car les journaux français et anglais avaient permis aux Allemands de glaner facilement de précieuses informations en 1870-1871. Afin d’éviter de réitérer ce genre d’erreurs, le contrôle se passe à tous les niveaux de la chaîne de production de l’information, depuis l’édition, jusqu’à la diffusion, en passant par l’impression.
En effet, la loi du 5 août 1914 sur les indiscrétions de la presse restreint forcément sa liberté en ce qui concerne la diffusion d’informations militaires. Cette loi est renforcée par la décision du ministère de la Défense de mettre en poste des délégués au sein des rédactions dont la mission consistait en un contrôle strict et systématique des contenus publiés. En Angleterre, c’est lors de cette guerre que l’on nomme le premier ministre de l’information.
Dans ce contexte particulier, le secteur de l’imprimerie devient primordial et stratégique pour la nation. Par ailleurs, ce dernier doit faire face à de nombreuses difficultés liées à l’entrée en guerre :
- La mobilisation générale entraîne une soudaine perte de main d’œuvre monumentale, car la plupart des hommes travaillant dans les usine sont appelés au front
- L’approvisionnement en matière premières devient de plus en plus ardue, l’importation depuis certains pays est impossible et la production française chute. La pâte à papier (dont la production chute entre 40% et 60%) et le charbon (qui sert au transport) sont dès lors des ressources prioritaires.
Cette déstabilisation du secteur a pour conséquences une augmentation des prix du papier, une réduction du nombre de pages dans les principaux quotidiens et une prise en main accrue du gouvernement. Ainsi en 1917, l’État assoit son contrôle avec l’intronisation de la Commission Interministérielle de la Presse (CIP) qui sera ensuite suivie par d’autres organes de régulation afin d’avoir la mainmise définitive sur cette industrie. La censure touche toutes les parties de la presse, et plus particulièrement les photos qui ont pris une place plus importante que les dessins dans les colonnes. Sur les soldats, le travestissement des faits et les fausses nouvelles ont même l’effet inverse à celui escompté, qui ne reconnaissent pas ce qu’ils vivent dans ce portrait que les journalistes dressent de la guerre.
La presse devient donc un auxiliaire du gouvernement, un outil de propagande au service des intérêts supérieurs de la nation.
La Grande Guerre aura donc eu un fort impact sur le paysage médiatique français, notamment avec la publication de nouveaux titres moins conformistes tels que le Canard enchaîné.
Toutefois, l’imprimerie permet aussi aux soldats de recevoir et de donner des nouvelles à leurs proches. Elle leur permet de leur écrire des lettres, “c’est le seul lien du combattant avec l’arrière”. Le nombre de ces correspondance va drastiquement augmenter et ce sont plus de 5 millions de lettres qui partent chaque jour du front. Ces cartes postales, fabriquées par les imprimeurs, sont régies par des contraintes réglementaires strictes. En effet, elles sont imprimées selon un modèle défini à l’avance par l’Etat, avec par exemple la mention de note de confidentialité. C’est l’Imprimerie nationale qui a la lourde charge de cette mission permettant de remonter le moral des troupes et de leurs familles. Très vite dépassée, l’Imprimerie nationale peut compter sur le soutien de partenaires privés.
Loi du 5 août 1914
Art. 1er – Il est interdit de publier aucune nouvelle relative aux événements de guerre, mobilisation, mouvements, embarquements, transport de troupes, composition des armées, effectifs… autres que celles communiquées par le bureau de la presse organisé par le ministre de la guerre.
Art. 2. – Toute infraction aux dispositions de l’article précédent sera punie d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de 1 000 à 5000 francs
Art. 3. – L’introduction en France de brochures, journaux publiés à l’étranger pourra être interdite par arrêté ministériel.